Marc Giai-Miniet, transmetteur d'émotions et de patrimoine
Pour découvrir l’atelier et le travail de Marc Giai-Miniet, il faut se rendre dans le vieux Trappes, au Village.
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Là, il accueille ses visiteurs d’un « attention, le porche est très bas ! ».
Cela ne pose pas de problème à cet homme qui a choisi pour nom de sa société d’édition « le nain qui tousse ». Et même s’il avait été assez grand pour se frapper le front, en très grand habitué des lieux il ne risque pas grand-chose. « C’est l’une des plus vieilles maisons de la ville, une ancienne ferme. J’y suis né en février 1946, ici même, dans l’atelier où je travaille encore aujourd’hui. À l’époque, suite aux bombardements alliés la maison manquait quelque peu de tuiles et de vitres... Mais nous avons eu la chance d’avoir été épargnés. Ma famille est arrivée à Trappes en 1916, mais était établie localement depuis plus longtemps ».
Issue de l’immigration italienne, les Giai-Miniet ont fait partie des nombreux carriers qui sont venus travailler dans la région. Ce Trappiste est un visage très familier dans les rues de la ville. Mais son implantation locale ne se limite pas à sa naissance : il est l’époux de la fille d'un ancien conseiller municipal, et a été deux ans professeur d’arts plastiques au collège Youri-Gagarine. Il fera ensuite un très bref mais obligé passage dans les rangs de l’armée, qui ne le retiendra trop longtemps éloigné de son établi. Il se consacrera ensuite pleinement à son activité d’artiste, ajoutant à sa formation initiale de graveur la peinture, la céramique, l’aquarelle… Les boites sont une variation plus récente de sa production d’œuvres : « cela fait 30 ans que je les conçois en découpant chaque détail à la main. La réalisation d’une de ces boites est plus longue, mais si je suis également connu pour mes peintures, ce sont les boites qui sont les plus médiatisées. La peinture peut être plus opaque à comprendre… On entre plus facilement dans ces micro-univers en 3 dimensions ».
Son atelier fourmille d’éléments, mélangeant outils et collections variées, réalisations en cours et passées. Peintre depuis 60 ans, on trouver dans ses réserves et autres recoins au moins 500 peintures dans une large variété de supports, formats et thématiques. Il héberge également une partie des archives du « Salon de mai », dont il a été le secrétaire pendant 8 ans. Elles quitteront bientôt Trappes pour Avignon pour rejoindre un hôtel particulier dédié au peintre Taillandier, qui a occupé les mêmes fonctions avant lui.
« J’ai vécu quelques années en HLM mais j’ai également été hébergés chez des amis à la Boissière, chez Françoise & François Luxereau. Une nuit, un incendie a pris dans l'atelier qui occupait le grenier de cette maison… ça explique sans doute pourquoi le feu fait aujourd’hui fréquemment partie de mes boîtes. C’est une des thématiques récurrentes, en lien avec les autodafés de livres, une autre de mes obsessions avec la mine, le chemin de fer, les valises qui évoquent autant les migrations que les déportations, le théâtre… »
Il a fait partie des « coquillards », une troupe dans les années 60, un peu pour faire l’acteur mais aussi pour travailler sur les décors. Il a également obtenu une bourse qui lui permettra de visiter l’Égypte et d’en rapporter des inspirations nourricières avec les idées de construction par étages, des égouts à l’accumulation des connaissances, des tréfonds obscurs à la lumière, de la toxicité à la spiritualité.
« J’aime les mélanges, ça me rappelle le garage automobile où mon père était ouvrier. C’était très encombré pour mes yeux d’enfants, avec une profusion d’outils. Une autre atmosphère, propice aux mélanges et à l’inattendu, loin des ateliers-laboratoires beaucoup plus rationalisés qu’on peut croiser aujourd’hui. Mes parents étaient extrêmement simples mais nous n’avons jamais souffert. Mon frère est entré chez Dassault, ma sœur est devenue bibliothécaire, et moi je suis entrée aux Beaux-arts à Paris. Quant à savoir pourquoi….
C’est sans doute lié à mon enfance. À 9 ans j’étais enfant de chœur : il faut dire ici que ma mère était d’origine Slovaque, et connaissait la réalité derrière rideau de fer. Ça explique que les préceptes laïques communistes n’aient pas eu bonne presse à la maison. Un chemin de croix avait été exposé dans l’église, et j’ai eu un choc esthétique devant une des peintures de la passion du Christ. J’ai pris une chaise pour tenter de comprendre ce tableau, une huile sur toile, pour comprendre ce que voulait dire ces mots et comment ils pouvaient ainsi se matérialiser. En rentrant chez moi ce jour-là, j’ai demandé un torchon à ma mère. Je l’ai tendu sur un panneau de bois et, à l’aide de mes tubes de gouache, j’ai réalisé ma première peinture. Qui n’a fort heureusement pas été conservée !
Ma seconde rencontre, c’était avec instituteur, Monsieur Mounier, qui venait de Hollande. Il avait monté une petite exposition de reproductions de Rembrandt. Il nous a parlé de ce peintre ostracisé par ses pairs en raison de ses choix de thématiques, comme la kabbale juive ou Spinoza. Il nous l’a présenté comme un homme qui s'était battu face aux autres, et ça m’a plus.
Je suis devenu peintre pour raconter quelque chose ! Ce sont les pierres qui ont pavé mon chemin, mais je ne me destinais pas à être artiste, je ne savais pas ce que c’était ! Il n’y avait pas de peintures chez moi, pas plus que de livres. À l’époque, les reproductions couleurs de qualité étaient rares. Aujourd’hui c’est fantastique, on peut tout découvrir d’un simple clic, le monde et ses beautés sont à portée de main ! »
De cette jeunesse de découvertes, il a essayé de conserver cette curiosité pour les autres. Il a édité un peu de poésie, organisé des expositions de peintures dans les années 70, accueillant par exemple des toiles de Marfaing (un proche de Pierre Soulage). Ce touche-à-tout s’intéresse à la philosophie, la kabbale, l’ésotérisme même parfois… « Le monde est compliqué, mais peut-être moins qu'on ne le croit. Comme le disait Albert Einstein, ce qui est incompréhensible c'est que le monde est peut-être compréhensible ».
Un don à la ville
Cet artiste a récemment entrepris de donner à la ville une partie de ses œuvres, en commençant par 3 de ses boites, « Terminal 2 », « Mutation » (une fable sur la pollution, exposée au Conservatoire) et « Le grand pillage ».
« C’est normal de faire cette démarche pour valoriser une ville qui a su avoir et préserver des artistes, en leur donnant des possibilités d'exposer. Étant un fils de l’école de la République, c’est aussi pour remercier une ville qui m’a permis d’entrer aux Beaux-arts. Cette valeur patrimoniale, historique, a du sens ici, dans une ville de chemin de fer. C’est un premier don, pour amorcer quelque chose. Si la mairie parvient à trouver des murs pour les conserver et les exposer, je suis prêt à donner des tableaux de plus grands formats C’est important d’avoir un lieu privilégié pour la contemplation d'œuvres d'arts. Les lieux que l’on fréquente au quotidien comme les supermarchés, les restaurants ou le métro ne sont pas adaptés pour cela : on a la tête ailleurs, on est occupé par la vie quotidienne. Les gens doivent être dans des conditions favorables pour rencontrer l’art. Même si j’ai par exemple déjà exposé dans un hôpital, où un séjour contraint permettait aux patients de se laisser toucher par des toiles laissant l’espace pour l’interrogation ».
Marc Giai-Miniet discute avec ses camarades de l'association « Regard-parole », prêts eux aussi à faire des dons pour ce qui pourrait être le début d'une galerie d'art moderne comprenant des poèmes, des photographies… Ce collectif à une histoire avec Trappes puisqu’il est né ici, même si aujourd’hui son activité est principalement basée à « La tannerie », à Houdan. « Nous aurions préféré disposer d’une galerie permanente à St-Quentin-en-Yvelines, mais nous n’avons jamais obtenu de locaux. Il faut pourtant toujours donner le meilleur à la population, montrer la réalité sans avoir peur du difficile. À bas le mou et le passe-partout ! ».
Si depuis 3 ans le COVID a considérablement réduit les possibilités d'exposition, Marc Giai-Miniet a déjà exposé dans la région à la Ferme des Mousseaux, à la Maison des Bonheur ou la Commanderie des templiers. Quatre de ses boites sont actuellement à Londres dans les anciens locaux de Christie's pour l’exposition « Small in beautifull » qui rassemble une trentaine d’artistes.
À partir de la rentrée 2022 il participera à une nouvelle exposition collective à La tannerie (Houdan).