Journée nationale du Souvenir des Victimes et des Héros de la Déportation
Allocution de Monsieur le Maire Ali Rabeh à l'occasion de la Journée nationale du Souvenir des Victimes et des Héros de la Déportation
Retrouvez ci-dessous la vidéo de la cérémonie commémorative et le discours de Monsieur le Maire.
Contenu
Monsieur le Préfet,
Madame la conseillère régionale,
Madame la conseillère départementale,
Madame la conseillère municipale,
Madame, Monsieur,
J’aimerais faire résonner un nom aujourd’hui. Un nom que nous avons le devoir de sauver du silence et de l’oubli. Ce nom, c’est celui de Jacques Lusseyran. Jacques Lusseyran est né à Paris le 19 septembre 1924. Alors qu’il n’a que huit ans et qu’il joue, comme tous les enfants, dans la cour de récréation, il tombe, une branche de ses lunettes rencontre son œil. Le choc est violent. Jacques perd l’usage de ses deux yeux. Ses parents ont foi dans leur fils et foi dans la vie. Ils permettent à Jacques de poursuivre ses études malgré son handicap.
Dès le mois de mai 1941, ce petit homme de 17 ans, aveugle et étudiant à la Sorbonne va créer un premier groupe de résistants, Les Volontaires de la Liberté. Quelques mois plus tard, il met son groupe au service d’un réseau de résistance plus vaste, Défense de la France qui publie un journal clandestin à plus de 10 000 exemplaires. En janvier 1943, Jacques Lusseyran se voit refuser au concours d’entrée à l’École Normale Supérieure : le régime de Vichy a instauré un décret interdisant aux personnes handicapées de passer les concours de la fonction publique. Au bruit terrible des bottes brunes, Jacques doit accepter, contraint, l’ignominie d’un régime fantoche. La résistance devient alors sa seule occupation. Son rôle principal est de recruter les futurs membres du réseau. Aveugle, il croit pouvoir distinguer, au souffle de la voix, le traitre potentiel. Un matin, un jeune homme se présente, prêt à se battre. Pour une fois, la seule fois, Jacques a un doute. Il hésite mais finit par accepter.
Ce jeune homme qu’il vient de recruter dénoncera quelques mois plus tard l’ensemble du réseau. Le 20 juillet 1943, Jacques est arrêté, torturé de longs mois et finalement déporté au camp de Buchenwald. Jacques est lettré, il sait l’allemand et le russe. Il renseigne ses frères d’infortunes qui le protègent en retour. Jacques survit miraculeusement au camp et retrouve la liberté un matin d’août 1944.
La guerre passée, Jacques souhaite toujours devenir professeur et enseigner le français. Mais personne n’a pensé à abolir le décret de Vichy. Il ne sera aboli qu’en 1955. Il quitte la France et s’installe aux États-Unis où son talent est reconnu. Il deviendra professeur de littérature et portera toute sa vie, dans ses cours et dans ses livres, le même message :
« La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous, quoi qu’il arrive.
La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux ».
Comme Jacques Lusseyran, ils ont été des millions à être déportés. Déportés et gazés parce qu’ils étaient juifs et tziganes. Déportés et tués lentement par les sévices, par le travail forcé, par la faim et par le froid, parce qu’ils étaient communistes, parce qu’ils étaient résistants, parce qu’ils étaient homosexuels. L’idéologie racialiste et fanatique nazie catégorisait l’être humain. Les hommes et les sous-hommes. Les purs et les impurs. Ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui doivent mourir.
Plus de 80 ans plus tard, notre entendement humain se trouve incapable de saisir chacune de ses vies arrachées, de ses rêves et de ses joies détruits silencieusement, à l’écart des regards, dans ces camps où s’entassaient les corps. Il faudrait pouvoir se souvenir de chacune et de chacun d’entre eux, dire leur nom, rappeler l’enfant, la femme ou l’homme qu’ils furent, et qu’en dépit du temps qui passe être capable de saisir le soleil qu’ils portaient en eux. Qu’ils nous pardonnent d’en être incapable.
Je pense, en ce jour, aussi aux quatre trappistes déportés. Je pense à Jacques Boubas, je pense à Fernand Bréan, je pense à Charles Guilbert, je pense à Lucien Lecoq.
Notre devoir est aujourd’hui de porter leur voix et derrière elle celle de l’humanité une et indivisible. L’humanité est toujours fragile. Jacques Lusseyran, du fond de sa nuit, nous lance cet avertissement : « Le nazisme n’est pas un mal historique, limité à un temps et à un pays, un mal allemand. Le nazisme, c’est un germe omniprésent, une maladie endémique de l’humanité. Il suffit de jeter quelques brassées de peur au vent pour récolter, à la saison prochaine, une moisson de trahisons et de tortures ».
Dans une époque où les peurs reviennent, où les mauvais vents les instrumentalisent, nous défendons ici et à jamais, la dignité attachée à tous les êtres. Chaque être humain porte en lui l’entière humanité. C’est ici la seule vérité. Le soleil que nous portons en nous.
Pour eux. Pour les générations à venir. Ne l’oublions jamais. La lumière est en nous.
Je vous remercie.