Commémoration de l'Armistice - 11 novembre 2023
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ALLOCUTION D’ALI RABEH, MAIRE DE TRAPPES, À L’OCCASION DES CÉRÉMONIES CÉLÉBRANT L’ARMISTICE DU 11 NOVEMBRE
Madame, Monsieur,
Je n’ai jamais pensé qu’une journée de commémoration comme celle-ci devait avant tout chercher à exalter, chez vous qui m’écoutez, l’amour de la patrie. Je ne partage pas la vision romantique de la guerre et la gloire de notre pays n’est pas à chercher du côté du massacre collectif et fratricide que fut la Première Guerre mondiale. Trop longtemps dans notre Histoire, les massacres d’hier ont servi de terreau aux massacres de demain. Ainsi fonctionne la haine : une flamme mal éteinte est facile à rallumer. Et si ma patrie nourrissait des rêves de guerres et de conquêtes, si elle nourrissait la haine de l’Autre, si elle oubliait, dans sa folie, l’unité du genre humain et le devoir sacré de le préserver, alors, en homme et en citoyen, je dirais que ma patrie se trompe.
Ce que nous célébrons aujourd’hui ce n’est donc pas la guerre, c’est encore moins notre victoire qui eut le goût amer de la défaite puisqu’elle a coûté la vie à plus 1 million et 300 000 jeunes Français. Ce que nous célébrons aujourd’hui, 105 ans après, c’est la paix, la paix retrouvée après nos errements funestes. Ces gamins, qui avaient des rêves plein la tête, ont aujourd’hui leurs noms gravés en lettres d’or sur nos monuments aux morts. Au-dessus de leurs noms, où résonne encore leur âme, on peut lire cette inscription : « Morts pour la France ». Ces enfants, dont je voudrais porter la voix aujourd’hui, ne sont pas morts pour la France. Ils sont morts pour la guerre des empires, pour l’obsession de la conquête et de la domination, pour la fureur des canons, pour la bêtise humaine et l’avidité des grands industriels.
Voici bien le terrible drame à venir que dénonçait encore Jaurès dans son ultime discours du 25 juillet 1914 pour préserver la paix. « Chaque peuple parait à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie (…). La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar ».
Ce n’est pas cette France-là que nous commémorons aujourd’hui, cette France qui envoya ses enfants mourir pour ses colonies, pour ses rêves de puissance, pour quelques mètres de terrain, pour la haine de l’Allemand, haine aussi absurde que construite de toute pièce, cette France qui portait une torche à la main.
Si nous sommes ici aujourd’hui, si nous avons choisi la parole au silence, c’est pour rappeler une évidence, que notre époque si meurtrie et si violente, peine à accepter : la guerre de tous contre tous est d’abord et toujours la défaite de notre humanité. Et si, en d’autres époques noires, certains sont morts au nom de l’humanité et de ses valeurs, nos enfants de 14-18 ne sont pas morts pour cela.
Année après année, notre responsabilité reste la même, notre devoir sacré et immémorial est intact : délivrer les Hommes de leur fureur et rappeler la primauté de l’Homme sur l’individu, de l’universalité de notre condition sur nos particularités ordinaires.
C’est à défendre cet amour-là que cette journée doit servir.
Cette croyance qui est ma pensée profonde, nul peut-être ne l’a mieux exprimée qu’Antoine de Saint-Exupéry.
Je termine ce discours par ses mots :
« Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. Notre unité, au-dessus de nous, se fonde en l’Homme. L’arbre aussi s’exprime par des branches qui ne ressemblent pas aux racines. Si donc, là-bas, on écrit des contes sur la neige, si l’on cultive des tulipes en Hollande, si l’on improvise des flamencos en Espagne, nous en sommes tous enrichis en l’Homme.
Je crois que le culte de l’Universel exalte et noue les richesses particulières et fonde le seul ordre véritable, lequel est celui de la vie. On meurt pour une maison, non pour des objets et des murs. On meurt pour une cathédrale, non pour des pierres. On meurt pour un peuple, non pour une foule.
On meurt par amour de l’Homme, s’il est la clef de voûte d’une Communauté.
On meurt pour cela seul dont on peut vivre ».
Je vous remercie.